Entretien avec Martine Ménard
Artiste Céramiste
Mars 2008
Rencontre avec Martine Ménard, une "jeune artiste céramiste" au parcours créatif et artistique bien rempli.
Après nous avoir fait admirer ses oeuvres en situation à la Galerie "Asian Art de Vivre" à deux pas de chez elle, c'est dans son atelier que Martine Ménard nous reçoit, parmi ses pièces posées ça et là. "Désordre ordonné", qui rappelle les vieilles ruelles de son quartier du Marais. Créatrice de mode, designer, sa collaboration avec le monde industriel pendant quelques décennies ; Martine Ménard se raconte, passionnée... et intarissable !
La céramique, le fil conducteur de sa vie et de son travail
Martine débute sa carrière de créatrice de mode avec Givenchy, Dior, Balenciaga. Puis elle crée sa propre marque à la fin des années 60, très sollicitée et appréciée du milieu. Ensuite, c'est comme designer free-lance qu'elle crée des concepts pour des industriels en France, en Italie, en Inde, au Canada, en Argentine...
Martine découvre très vite que la céramique l'a intéressée toute sa vie, mais de façon inconsciente.
"A l'école du Louvre j'avais suivi des cours sur la céramique grecque. A Alger, mon mari, l'architecte Fernand Pouillon, avait monté pour moi tout un atelier de céramiques qui ont orné toutes ses constructions en Algérie. J'ai travaillé sur des concepts de bagages, mais aussi de cuisines pour le groupe Vedette-Thomson-Brandt : c'était l'époque où les cuisines étaient dans le design brun et orange, j'avais donc fait une cuisine blanche et j'avais imaginé des carrelages, et j'ai fait la céramique de dessins de fruits sur les murs qui étaient gris-bleu et tomette, et toute une ligne d'art de la table, en partenariat avec des industriels français (Deshoulières...)"
Passionnée par la couleur, les textures et la lumière, la céramique est la continuité de ses années de recherches. En 1997, au Mexique, Martine Ménard commence une nouvelle vie de céramiste, auprès de Georges et Rocio Vinaver dans l'ancien atelier de Gustavo Pérez.
Chris
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Des pièces aériennes à l'allure délicate et féminine
Martine trouve très vite un style en réalisant des pièces aussi fines que des coquilles d'oeuf sous l'influence de Yolande Cazenove et en se perfectionnant à la technique du Raku. Couleurs, textures et lumière, une fascination développée dans son travail de créatrice de mode, nourrie de nombreux voyages et de l'influence de maîtres tels que Sonia Delaunay, Hartung, Soulages, Hantaï.
Elle retient de leurs oeuvres les nuances de couleurs, le trait, la masse, le lisse, le grenu, pour les confondre à ses émotions que lui offre la nature et les cultures.
Coupelles, vases, assiettes deviennent des sculptures délicates aux reflets métallisés, irisés, aux émaux turquoises, bleu-violets, verts ou rouges et au touché d'une grande sensualité.
Des pièces poétiques, d'une extrême finesse et aux formes naturelles, que Martine conçoit très concentrée. Elle s'y consacre, tout est pré-pensé. Ce sont des envies, comme s'il n'y avait plus qu'à les exécuter. Le temps ne compte pas.
Son inspiration, elle la puise dans l'immensité de la nature, inspirations minérales et végétales ; création de reliefs par des empreintes de feuilles, recherche de couleurs d'émaux : elle les travaille, les superpose. La terre lui suggère des choses. Elle peut travailler de 10h à 2h ou même 5h du matin. Sa devise : faire ce qu'elle veut, quand elle veut et comme elle veut... des instants de complicité avec la matière et les couleurs. Naissent alors des pièces majestueuses, "hasardeuses" ou réfléchies, et des familles d'objets.
"Quand les pièces sortent du four, je les pose, les rencontre, je me familiarise avec elles et je les observe. Je suis d'une impatience impatiente, et avec la terre il y a des choses avec lesquelles on ne joue pas, on ne peut absolument pas jouer avec le temps, les rares fois où j'ai bousculé la terre, elle m'a dit "merde" et s'est fendue... donc, je la respecte infiniment."
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Chris
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"On touche avec les yeux, on regarde avec les mains"
Aucune pièce ne se ressemble. Elles peuvent être similaires, mais jamais identiques. Ce sont des pièces uniques, ça ne peut en aucun cas être de l'artisanat.
"L'art décoratif correspond bien à quelque chose... on a besoin de beau, on ne peut pas vivre sans beau. Donc, je qualifie mes objets comme étant décoratifs et pouvant être utilisés."
Martine organise son travail et ses recherches selon ses envies. Les seules contraintes qu'elle se donne, sont les contraintes de temps, quand elle s'engage dans une date d'exposition.
Lorsqu'elle crée ses pièces, elle voit les formes avant qu'elles n'existent, la projection des couleurs sur les pièces avant que ce soit fait. Ce sont des moments parfois riches de surprises esthétiques, elle aime aussi s'amuser à cultiver un défaut, une erreur qui magnifiera l'objet lui offrant une qualité supplémentaire.
"La seule chose intéressante c'est ce que je vais faire, et les risques que je vais prendre en faisant d'autres choses. Une fois que j'ai fait quelque chose, puisque je sais le faire, par exemple cette passion que j'ai eu pour faire des pièces fines, quand je suis arrivée à cette extrême finesse, à tel point qu'il y avait des pièces qui étaient tellement fines, j'ai même pas pu les faire cuire. Je les avais laissé comme ça dans l'atelier, et elle se sont délitées d'elles mêmes, parce que c'était vraiment la finesse du papier. Pour moi la période des "hasardeuses" la plus difficile c'est effectivement entre le moment où je fais la pièce, et celui où elle sèche."
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Chris
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Un parcours instinctif...
Une vie passionnante, riche de rencontres, de voyages et dans différents domaines d'activité. Si Martine Ménard a si bien réussi son parcours artistique, c'est à force de travail et par son envie d'indépendance et surtout de s'assumer. Elle est partie de là, en ayant peur de rien ; à une époque où tout n'était pas forcément si facile, ayant une flexibilité dans le travail, la diversité ne l'effrayant pas ; il y avait une confiance mutuelle entre elle et les personnes pour qui elle créait.
"Il y a eu différentes période de ma vie. Le moment où j'ai eu ma boutique,"MG Store" que j'ai tenu pendant 10 ans à la fin des années 60. J'avais un atelier de fabrication, pour ma boutique et pour d'autres boutiques ; je faisais en même temps des collections pour des industriels ; à ce moment là, j'ai travaillé sur la création."
Lorsqu'on demande à Martine s'il y a une grande différence entre le fait de dessiner, de designer et le fait de réaliser, elle répond :
"Quand je designais, c'est à dire que lorsque l'on me demandait de travailler sur un sujet, pratiquement lors du premier entretien je savais ce qu'il fallait faire. Je l'avais imaginé et conçu.
Ensuite je passais X temps à le matérialiser ou le faire matérialiser en milieu industriel. Et ensuite à défendre mes idées jusqu'à la fin, puisqu'il y a toujours "ça on ne peut pas le faire ; ça ne rentrera pas dans les prix". Je pouvais être appelée du jour au lendemain à travailler sur un sujet ou un autre, dans un pays ou un autre. Mon esprit, "ou ma culture", était de pouvoir répondre à n'importe quelle demande du jour au lendemain. Je passais mon temps à travailler, et à me cultiver sur ce qui se passait dans différents pays."
"J'aimais bien cette gymnastique d'esprit où l'on se remet en question tous les jours, où rien est acquit, et donc vivre sans avoir droit à l'erreur, ce qui est intéressant, comme ça on est obligé de rester éveillé !"
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De 1976 à 1992, Martine vit dans le rythme de la mode, des tendances et des couleurs. Une période riche de rencontres et de voyages. Dix ans de collaboration avec les italiens ; elle pouvait se trouver dans des situations saugrenues : à devoir naviguer en même temps pour le luxe et sur une ligne de bleus de travail pour un industriel du Nord ; dans les années 80, aller de la création à la communication pour un congrès de cuisinistes ; être contactée par l'ambassade des Philippines pour du "consulting" ou être appelée par un industriel argentin pour son exportation en Europe... Un parcours intense, dans des domaines et situations variées où souvent les contraintes étaient d'aller à l'essentiel.
"Je vivais trois époques en même temps. Quatre collections mais trois époques en même temps. C'est à dire, que je vivais dans le futur, ce que je pouvais préconiser pour deux ans, en avance."
Voilà quinze ans que Martine Ménard ne travaille plus pour le textile et qu'elle se consacre à l'art de la céramique. Son parcours pourrait servir d'exemple, pour les générations de créateurs et designers à venir. Pour ainsi dire autodidacte, lorsqu'on lui parle d'enseignement, elle considère que les écoles c'est bien pour apprendre à apprendre. Effectivement qu'il y a de très bonnes écoles, comme de mauvaises, mais à partir du moment où l'on veut réussir tout devient possible : "Vous savez j'ai toujours vu des jeunes commencer dans n'importe quelle discipline ; s'ils sont motivés, travailleurs, et s'ils sont créatifs, et pas dans le "me too" c'est possible. S'ils ne sont pas créatifs, ils auront l'illusion d'apprendre quelque chose mais ils ne sauront rien." Elle nous cite alors en exemple Jean-Paul Gaultier, et son remarquable parcours, en nous disant que toutes les personnes qui réussissent donnent beaucoup, s'investissent au maximum, que ça n'arrive pas comme ça... mais l'important reste quand même de pouvoir se lancer !
Question d'artiste : pour ses céramiques, d'où provient son inspiration ? Ses choix de lignes ou de couleurs ?
"Là, j'ai fait plein de formes d'avance, et le mois prochain, je vais me lancer dans des recherches de couleurs, parce que j'ai envie de nouvelles couleurs. Et puis d'un coup, il y en a une, et ce sera celle-là... Voilà, c'est comme ça que je fonctionne..."
Martine Ménard, cette idéaliste vivant dans une certaine éthique, vit peut-être hors du temps lorsqu'elle joue de son art, mais elle traverse les époques avec toujours une longueur d'avance... fringante, pas du genre à abandonner ses passions !
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